Avant même le début du point info proposé jeudi 24 novembre dans le cadre du Congrès des maires sur le thème "Sport : nouvelle gouvernance, nouveaux enjeux", le ton est donné. Dans le couloir qui mène à la salle Nation du Parc des expositions de la porte de Versailles, un adjoint aux sports isérois confesse qu'il n'a jamais entendu parler des conférences régionales du sport (CRS)… qui sont pourtant censées incarner la nouvelle gouvernance. Les intervenants, eux, connaissent bien ces déclinaisons régionales de l'Agence nationale du sport (ANS). Et pour cause : ils tentent de les faire vivre sur leurs territoires. Mais tous ont témoigné de leurs carences.
Pour introduire les débats, David Lazarus, coprésident de la commission sport de l'Association des maires de France (AMF), se réjouit que depuis la création de l'ANS en 2019, les collectivités aient "toute leur place" dans la gouvernance du sport. Mais le maire de Chambly (Oise) nuance aussitôt : ce constat ne vaut que pour le niveau national. Car "l'usine à gaz" que David Lazarus redoutait dans les déclinaisons régionales de l'ANS est bien, à son grand dam, au rendez-vous.
Gymnastique d'ingénierie
Les témoignages fusent. Gilles Leproust, maire d'Allonnes (Sarthe), estime que les élus qui siègent dans les CRS sont "un peu des ovnis vis-à-vis des maires et du mouvement sportif". Noëlle Chenot, maire de Surzur (Morbihan), raconte qu'elle s'est retrouvée "à parler à des gens qui ne savaient pas ce qu'on faisait" et estime que dans cette nouvelle gouvernance, "les petites communes rurales se sentent exclues et les grandes villes ont l'impression de tout payer".
De son côté, Marcellin Chingan, adjoint au maire du Moule (Guadeloupe), illustre cette "usine à gaz" : "La Guadeloupe, terre de champions, a vingt-cinq ans de retard en matière d'équipements sportifs, 90% des communes ont des difficultés financières, l'ingénierie manque, nos dossiers sont retoqués. Nous sommes de retour à l'ancien temps avec un préfet qui gère tout." Mohamed Gnabaly, maire de L'Île-Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) et coprésident de la commission sport de l'AMF, enfonce le clou : "Nous sommes une ville-hôtesse des Jeux olympiques, nous n'avons qu'un stade. Afin de lever trois millions d'euros pour la première tranche de rénovation de ce stade, j'ai demandé la dotation politique de la ville (DPV) sur trois années, j'ai demandé la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), j'ai aussi demandé un financement de la région et du département, je suis allé voir la Fédération française de football et la Fédération français d'athlétisme… Ce que je veux dire, c'est que réaliser un équipement pour le service public du sport, cela nous fait faire une sacrée gymnastique d'ingénierie." Sur un ton tranchant, où l'agacement pointe parfois derrière la fermeté, Sylvie Miceli-Houdais, maire de Rognac (Bouches-du Rhône) et autre coprésidente de la commission sport de l'AMF, réalise une première synthèse : "L'ANS est méconnue des élus et la déclinaison territoriale ne leur évoque pas grand-chose. Il y a de grandes difficultés à se retrouver dans les circuits de financements."
"Le chemin va être long"
Aux côtés des élus, Frédéric Sanaur, directeur général de l'ANS, entend mettre "un bémol à la logique d'usine à gaz". "On s'est toujours efforcés d'être à l'écoute, disponibles pour avoir des interactions, plaide-t-il. C'est comme ça qu'on progresse et qu'on n'est pas hors sol." Pour l'agence, l'enjeu est en effet, à travers les CRS, de garder l'état d'esprit des "interactions constructives et productives" existantes au niveau national. "On a plus de 35.000 collectivités territoriales, mais aussi 160.000 associations sportives fédérées et autant d'associations non fédérées. Cela fait des centaines de milliers d'acteurs qui contribuent au sport", rappelle Frédéric Sanaur. Le directeur général de l'ANS se dit toutefois convaincu que "quand on porte des projets et qu'on s'organise, tout le monde peut avoir la parole" dans une assemblée d'une cinquantaine de personnes, soit le nombre moyen de membres des conférences régionales du sport. "C'est une logique d'investissement et d'engagement. Il faut y croire", affirme-t-il, avant de déplorer la "facilité" consistant à considérer que "la communauté d'agglomération ne s'occupe que de la grande ville ou que la région est trop lointaine". Frédéric Sanaur estime cependant que "le chemin va être long, c'est une certitude". Et pour avancer il prône "d'engager des actions communes et de les valoriser".
Pour faire décoller les conférences régionales du sport, Mohamed Gnabaly milite, lui, en faveur "de politiques publiques locales et nationales qui permettent d'avoir un guichet unique ou une boîte à outils." Guichet unique, certes, mais sans "logique de guichet", répond Vincent Saulnier, adjoint au maire chargé des sports de Château-Gontier (Mayenne) et secrétaire général de l'Andes (Association nationale des élus en charge du sport). Ce dernier regrette qu'à travers la loi qui a créé l'ANS, "le législateur ait dénaturé l'esprit originel de la gouvernance partagée" et demande que les décisions "partent du terrain" car les élus "ne sont pas en conduite accompagnée aux côtés de la Drajes (délégation régionale académique à la jeunesse, à l'engagement et aux sports)". David Lazarus s'inquiète pour sa part du "dépouillement" de l'État départemental, alors même que, selon lui, le département est le bon échelon pour la mise en place des conférences des financeurs du sport, qui complètent, le dispositif de gouvernance partagée.
"On va fermer la lumière"
La simplification des dossiers de subventions – par ailleurs mise en œuvre avec succès cette année dans le plan en faveur des petits équipements de proximité – ou la reconnaissance du sport pour tous ont émergé parmi les sujets dont les CRS devraient mieux se saisir. Mais très vite, il est apparu que la nouvelle gouvernance du sport devrait gérer plus rapidement encore la crise énergétique et le financement de l'ANS à l'horizon 2024.
Anticipant une trajectoire budgétaire pessimiste récemment évoquée au Sénat, David Lazarus pointe la période qui suivra l'accueil des Jeux olympiques et prévient : "Au 1er octobre 2024, on va avoir la gueule de bois, on va fermer la lumière." Une expression à prendre au propre comme au figuré si l'on en croit Sylvie Miceli-Houdais qui affirme : "On n'arrive même pas à estimer le budget de fonctionnement pour les coûts à venir des fluides. J'ai peur que des maires ne soient même plus capables d'ouvrir leurs équipements tellement cela sera coûteux." L'élue provençale plaide pour "des partenariats avec le privé", tout comme Noëlle Chenot : "En 2024, le sport ne sera plus rien. Si les entreprises ne nous soutiennent pas, on sera à sec."
Serpent de mer
En matière énergétique toujours, David Lazarus s'en prend au fonds vert, doté de deux milliards d'euros : "On ne peut pas laisser ce fonds dans un 'mix', comme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition énergétique, nous incite à le faire en disant que c'est aux élus d'établir des priorités. On ne peut pas nous laisser le choix entre une école, une maison de retraite ou un gymnase. Le grand perdant risque d'être le sport. Le savoir-nager est une compétence que l'État nous impose, c'est à lui de payer. J'ai revendiqué le fléchage de 200 millions, soit 10% du fonds vert, sur les équipements sportifs, avec une gestion par l'ANS."
Dans ce contexte, David Lazarus affirme que "les moyens de l'ANS doivent être pérennisés". Et Vincent Saulnier a une solution qui réapparaît comme le serpent de mer du financement du sport : "Sur les cinq dernières années, les trois taxes affectées qui financent l'ANS ont eu un rendement de deux milliards d'euros. Sur ce total, seuls 750 millions ont été fléchés vers l'agence. Le sport peut financer le sport, le sport peut financer un 'plan Marshall'. Il y a des arbitrages à porter plus fortement à l'échelon supérieur…" Pour les élus locaux, la balle est dans le camp du gouvernement.
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