En Espagne, 41 millions d’habitants vivent sur 30% du territoire et 6 millions sur 70%, le tout sur fond de natalité déclinante. Une situation telle que le gouvernement s’est doté d’un secrétaire d’État spécialement chargé du "défi démographique", Francisco Boya, venu témoigner à Lyon, le 13 mai, lors du colloque organisé par l’Association nationale Nouvelles Ruralités et le Parlement rural français, tous deux présidés par le sénateur de la Nièvre Patrice Joly. La rencontre, labellisée par la présidence française du Conseil de l’Union européenne (PFUE), est venue clore le cycle de débats menés sous la bannière "Ruralisons l’Europe", dans le but de faire avancer l’idée d’un agenda rural européen. Ou en tout cas d'une politique européenne dédiée aux territoires ruraux. Pour le représentant du gouvernement espagnol, il faudra des années à son pays pour "sortir de ce déséquilibre". L'État aide les mairies à mettre en place des "écosystèmes pour essayer d’avoir de nouvelles perspectives pour les ruralités" avec, par exemple, l’implantation de campus ruraux publics-privés destinés à permettre aux jeunes étudiants de terminer leurs études dans le rural. À côté des endroits où se concentre la main-d’œuvre ou les flux touristiques, "tout l’intérieur de l’Espagne est vide", s’est alarmé le secrétaire d’État.
L’Italie n'est guère mieux lotie. Avec 1,2 enfant par femme, la natalité a chuté de 31% depuis 2008. Ce qui a conduit le pays à organiser les 12 et 13 mai des "états généraux de la natalité"… À cet égard, la France peut s’enorgueillir d’une certaine vitalité démographique de ses campagnes. L’adoption d’un Agenda rural, dans la foulée de la crise des gilets jaunes, a aussi marqué un changement dans l’accompagnement de ces territoires qui, selon la nouvelle définition de l’Insee, réunissent 88% des communes en France et 33% de la population. L’Association des maires ruraux de France (AMRF) en est à l’origine, même si, comme son président Michel Fournier l’a rappelé, elle aurait préféré une grande loi pour la ruralité.
"La connexion est comme le système de circulation du corps humain"
La prise de conscience des besoins d’une politique spécifique, censée notamment pouvoir fixer les jeunes populations, est aujourd’hui européenne. En présentant le 30 juin 2021, sa "vision à long terme pour l’avenir des zones rurales à l’horizon 2040", la Commission européenne a posé les jalons d’un "pacte rural". "Cette communication n’apporte pas de financement supplémentaire, ce sont des orientations stratégiques à horizon 2040. Il s’agit de mettre un maximum de coordination dans les politiques, la gouvernance, d’activer les acteurs ruraux", est venu expliquer Mihaïl Dumitru, directeur général adjoint à la direction générale agriculture et développement rural de la Commission européenne. Cette dernière entend mettre en place un "mécanisme de rural proofing" (le fait de prendre en compte la ruralité dans toutes les politiques) et créer un observatoire rural. Originaire d’un petit village de montagne en Roumanie, le directeur sait bien ce que recouvrent les enjeux de mobilité, de connectivité. En Europe, les habitants de zones rurales vivent en moyenne à 8 km d’une école primaire, 10 km des commerces, 13 km d’une banque, 17 d’une école secondaire, 21 d’un service d’urgence et 27 d’un cinéma, a-t-il développé. Selon lui, "la connexion est comme le système de circulation du corps humain, si une partie ne va pas, le reste ne va pas, c’est une des priorités si on veut donner une chance à ces territoires".
Il faut "faire en sorte que les politiques européennes approchent la question rurale d’une autre manière, un peu plus qu’à travers la seule question agricole", a posé en ouverture Patrice Joly. "Ce sont rien moins que les perspectives de la cohésion de nos sociétés qui sont en jeu. (…) Nous sommes allés vers des concentrations toujours plus grandes, des entreprises mais aussi des services publics", a-t-il dit, appelant à sortir de "cette logique centre-périphérie". Ce que permet plus facilement aujourd’hui l’économie en réseaux, comme l’essor du télétravail est venu le démontrer au moment de la crise sanitaire.
"C'est maintenant qu'il faut enclencher ce changement de cap"
Si l’association Nouvelles Ruralités défend depuis plusieurs années une vision positive de la campagne, de nombreuses entreprises sont aujourd’hui sur cette ligne. Ainsi de l’assureur mutualiste Groupama qui a décidé de s’engager dans le développement du territoire. "Il y dix ans, mon prédécesseur me laissait un testament : la fermeture de 20 agences et de quatre centres de gestion sur huit. Nous avons fait le contraire. Nous avons réouvert une vingtaine d’agences, plutôt dans le rural", a témoigné Francis Thomine, directeur général de Groupama Rhône-Alpes (qui compte 310 agences et 8 centres de gestion). "Ce monde rural, il faut l’accompagner d’infrastructures", a-t-il dit. Avec la région et le Medef, le groupe entend créer un campus et un incubateur pour "réfléchir sur les transitions écologiques". Il accueillera "une série d’associations à des prix préférentiels".
Pour le sénateur du Cantal Bernard Delcros, fervent défenseur de la ruralité, "on est à un moment clé où peut se jouer l’avenir de l’espace rural, on a une carte à jouer, c'est maintenant qu'il faut enclencher ce changement de cap". Si les services au public constituent "le premier critère d’attractivité", la révolution numérique peut offrir de "formidables opportunités pour les jeunes", veut-il croire. Ils peuvent aujourd’hui "travailler là où ils ont envie d’habiter, c’est une inversion complète dès lors que les infrastructures numériques sont au rendez-vous". Selon lui, "les médias ont un rôle essentiel à jouer dans cette aventure". "Ce ne sont plus des handicaps qu’il faut compenser, ce sont des atouts qu’il faut valoriser." C’est aussi le message que cherche à faire passer l’AMRF. "J’en ai un peu marre qu’on ne parle que de ces difficultés. C’est un choix de vivre dans le rural. Ce ne sont pas que des contraintes. On ne parle jamais de toutes les contraintes de la ville", a lancé John Billard, secrétaire général de l’AMRF. Dans un message télédiffusé, la vice-présidente de la Commission européenne Dubravka Suica a donné rendez-vous le 15 juin pour une grande conférence sur le Pacte rural européen.
"La néo-ruralité n’est pas que la recherche d'un cadre de vie, c’est un mode de vie avec ses pratiques, ses rapports au travail." C'est le message adressé par le sociologue Loïc Wojda auteur de "L'Émancipation paysanne" lors du colloque Ruralisons l'Europe, organisé à Lyon, le 13 mai. Ce dernier est revenu sur les différentes générations de "néopaysans". Il y a d'abord eu dans les années 70, les déçus de mai 68 en quête d'une vie plus oisive mais qui ont été très vite confrontés à la dure réalité du travail de la terre. La génération suivante, faite d'artisans et de paysans, souhaitait elle revenir à un travail plus "sensé". Dans les années 80/90, une troisième génération a rejoint les campagnes avec deux motivations : accéder au foncier, avoir un cadre de vie plus apaisé. Aujourd'hui, nous assistons à l'arrivée d'une quatrième génération avec des gens qui "se distinguent par une revalorisation très forte de pratiques d’autosubsistance : développer un potager, avoir quelques animaux, un verger, faire son bois…" Autant de pratiques qui ont été "balayées d’un revers de la main par la société de consommation". "Ils ont bien conscience que l’autosubsistance ne peut pas tout et qu'il leur faut trouver un équilibre avec un travail marchand", a expliqué Loïc Wojda. Ce qui implique pour eux de recourir à un travail partiel. Or en dehors de postes d'auxiliaires de vie et d'employé chez McDo, les possibilités sont maigres. Ils souhaiteraient "trouver des emplois à temps partiel plus en accord" avec leur mode de vie. Le premier écueil qui se pose pour eux est l'accès au foncier "très peu accessible financièrement". "Les territoires ont tout intérêt à communiquer là-dessus", plaide le sociologue qui insiste aussi sur l'importance de la transmission du savoir-faire. "Les compétences ne font plus partie de l’héritage éducatif, ils sont obligés de réapprendre à la dure. Il y a un effort à faire, peut-être associatif, pour les mettre en relation avec des personnes qui n’ont pas perdu ces savoir-faire." M.T. |
ncG1vNJzZmivp6x7o63NqqyenJWowaa%2B0aKrqKGimsBvstFop5%2BtlWKytMCMrqVmpZ%2Bisq%2FAjJyjnmWgpMKzecuarZ6mmad6pbGMpZhmqqWnrq21054%3D