A l'approche de l'élection présidentielle, les déclarations et propositions pour moderniser - voire supprimer - le statut de la fonction publique, en particulier territoriale, se multiplient. L'association Villes de France (ex-Fédération des villes moyennes), qui regroupe les élus des villes et agglomérations de taille infra-métropolitaine, s'est elle aussi emparée du sujet en organisant le 8 novembre un colloque dans le cadre de ses "Rendez-vous de l'intelligence locale".
Pour sa présidente, Caroline Cayeux (sénatrice-maire LR de Beauvais), il n'est "pas choquant de chercher à moderniser la fonction publique territoriale alors que les collectivités locales doivent faire des choix de gestion pour absorber l'impact de la baisse des dotations de l'Etat, alors que le poids de la masse salariale est plus important pour les villes moyennes que pour l'ensemble des collectivités locales", ainsi que le soulignent les résultats d'une étude présentée pour l'occasion (voir encadré ci-dessous).
A cette fin, l'association a préparé un manifeste (voir ci-contre), dont les propositions ont fait l'objet de débats riches et de prises de position parfois tranchées au cours du colloque.
"Donner de la souplesse en matière de recrutement"
Plus de trente ans après sa création, faut-il modifier le statut des fonctionnaires territoriaux ? Pas forcément, répond Christian Martin, président de la formation interjuridictions finances publiques locales de la Cour des comptes, qui a coordonné le dernier rapport annuel sur les finances locales (voir ci-contre notre article du 12 octobre). "Nous pensons qu'il existe des marges de manœuvre en termes d'effectifs alors que ceux-ci n'ont cessé d'augmenter ces douze dernières années et que de nombreux départs à la retraite se profilent. Or les collectivités n'ont toujours pas actionné ce levier de manière rigoureuse", estime le magistrat, citant également la GPEC (gestion prévisionnelle des emplois et des compétences), "toujours pas développée au bout de sa logique", les mutualisations - "engagées mais de manière encore souvent poussive" -, ainsi que le temps de travail et les mesures en matière d'avancement et d'indemnités. Christian Martin a également relevé que les associations d'élus, auditionnées dans le cadre de ce rapport, n'ont pas transmis à la Cour de propositions en ce sens.
Pour autant, des représentants de Villes de France plaident pour une modernisation du statut. "L'Etat nous impose un régime sévère. Nous avons entrepris des actions sur les frais de personnels car nous subissons une baisse des dotations et une fiscalité non dynamique et l'Etat ne nous a pas octroyé les outils et moyens pour y faire face. Et parmi ces outils figure la réforme du statut", a ainsi jugé Yves Nicolin, député-maire LR de Roanne et président de la communauté d'agglomération de Roanne. Selon lui, "à partir du moment où les agents ont la garantie de l'emploi, leur niveau de compétence est plus difficilement maintenu. Ne pas toucher au statut est une erreur fondamentale, en particulier pour les agents de catégorie A. Il faut donner de la souplesse en matière de recrutement".
"Améliorer les entrées et les sorties du statut"
Cette position radicale n'est évidemment pas partagée par certains représentants des agents, dont Laurence Chenkier, vice-présidente du syndicat national des directeurs généraux de collectivités territoriales (SNDGCT) qui défend le maintien du statut afin notamment de garantir une certaine liberté des agents vis-à-vis des usagers mais aussi des élus ainsi qu'une stabilité des administrations en cas d'alternance politique. Laurence Chenkier se dit également sceptique quant aux éventuelles économies que pourrait dégager une contractualisation des fonctionnaires territoriaux, du fait des lourdeurs qu'introduiraient d'éventuelles conventions collectives - une position partagée par plusieurs intervenants. Elle a toutefois admis la nécessité de rénover le statut, notamment pour "améliorer les entrées et les sorties".
Dans ce domaine, outre l'harmonisation du temps de travail dans les collectivités à la durée légale prévue, Villes de France préconise notamment de "revoir et améliorer les modalités de financement et de fonctionnement de la formation de la fonction publique territoriale" et de "réorganiser les centres départementaux de gestion de la fonction publique territoriale en centres régionaux de gestion".
Prendre pleinement conscience "de notre rôle d'employeur"
Si la nomination comme la gestion du personnel territorial relèvent de l'exécutif local, les fonctionnaires territoriaux sont soumis au statut général des fonctionnaires, d'où le sentiment, exprimé par plusieurs élus, d'avoir une marge de manoeuvre restreinte pour exercer leur rôle d'employeur. Et d'être quelque peu dépossédés par l'Etat du pilotage de la fonction publique territoriale, auquel ils souhaiteraient être davantage associés. Dès lors, comment renforcer la place de l'employeur territorial ? En l'assumant pleinement, a paru répondre Philippe Laurent, président du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT).
Ainsi, en matière de dialogue social, Philippe Laurent a rappelé que si les associations d'élus n'ont pas la capacité juridique de négocier des accords avec les syndicats, le collège employeur du CSFPT la possède. "Nous n'avons pas assez conscience de notre rôle d'employeur", a-t-il déploré, avant d'exhorter les élus à faire une bonne utilisation des instances de dialogue social existant. Il a notamment rappelé le travail considérable accompli par le CSFPT dans le cadre de l'examen des textes réglementaires relatifs au protocole "PPCR".
Plus de latitude sur le recrutement et la rémunération
Le maire de Sceaux a également regretté que les élus - et leurs associations - ne soient pas assez impliqués en matière de ressources humaines. Enfin, s'il n'a pas minimisé les difficultés et les pesanteurs qui pouvaient se faire jour dans les échanges avec les administrations centrales de l'Etat en charge des collectivités - ni caché son agacement face à leur désir d'imposer des "quotas" aux employeurs territoriaux (voir ci-contre notre article du 21 octobre 2016) -, il s'est interrogé sur la position qui aurait été la leur s'ils avaient dû assumer directement l'impopularité du gel du point d'indice. "Aurions-nous tenu face aux syndicats territoriaux pendant six ans ? Je ne crois pas", a-t-il conclu.
Pour Villes de France, Caroline Cayeux a demandé plus de liberté, à la fois en termes de rémunération des agents (modulation du rythme d'avancement, des primes) et de recrutement des agents ayant des compétences techniques ou spécifiques. Outre l'évaluation obligatoire - ex ante et ex post - de tous les textes législatifs et réglementaires générant des charges de personnel, l'association appelle à une "harmonisation des approches statistiques" des différents observatoires concernant l'emploi territorial. Les données ainsi obtenues pourraient être agrégées par le nouvel Observatoire des finances et de la gestion publique locales (voir ci-contre notre article du 19 octobre).
Absentéisme et pénibilité
La présentation des résultats de l'étude concernant l'absentéisme - qui s'élève à un peu plus de 10% dans les villes moyennes - et ses causes a amené les intervenants de la dernière table ronde à insister sur la nécessité, pour les managers publics, d'une meilleure prise en compte de la pénibilité et sur la mise en place de mesures de prévention des risques. Les troubles musculo-squelettiques (TMS) ont été notamment pointés comme un "risque explosif" pour les personnels de la FPT, du fait de la proportion importante d'agents occupant des fonctions de service à la personne et d'une population vieillissante. Comment prendre en charge les agents devant bénéficier d'un reclassement suite à inaptitude ? David Marti, maire du Creusot et président de la communauté urbaine du Creusot-Montceau, a insisté sur la nécessité d'un accompagnement individuel de ces personnes, plus efficace qu'une formation classique, afin de leur permettre de changer de filière.
Sur ces sujets, Villes de France préconise notamment la réalisation d'un "bilan objectif de la suppression du jour de carence en matière d'absentéisme", ainsi que l'élargissement à l'échelle des différentes collectivités publiques du bassin de vie des possibilités de reclassements et adaptations de poste.
Laurent Terrade
58% du budget de fonctionnement des villes moyennes consacrés aux frais de personnel
Villes de France a rendu publics, le 8 novembre, les résultats d'une étude qu'elle a réalisée conjointement avec la Banque postale Collectivités locales et le courtier Sofaxis. Intitulée "Gestion des RH dans les villes de France : dépasser les rigidités", elle propose un état des lieux des frais de personnel dans les villes moyennes, avant d'opérer un focus sur l'impact de l'absentéisme sur ces dépenses.
D'après l'étude, les villes moyennes, qui totalisent 390.000 agents, soit 38% des effectifs communaux, affichent un ratio d'administration de 20,8 agents pour 1.000 habitants, contre 15,5 agents pour l'ensemble des communes, avec un nombre moyen d'agents de 650.
Le poids de la masse salariale sur le budget de fonctionnement s'en ressent. Alors que les frais de personnels de l'ensemble des collectivités pèsent en 2015 64 milliards d'euros, soit 36% des budgets de fonctionnement, ils atteignent 15 milliards d'euros pour les seules villes moyennes, soit l'équivalent de 58% de leur budget de fonctionnement, contre 51% en moyenne au niveau national. Par conséquent, le ratio en euros par habitant est plus élevé dans cette catégorie de communes : 809 euros par habitant, contre 587 euros par habitant en moyenne pour l'ensemble des communes.
En matière d'absentéisme, le taux s'établit en 2015 à 10,4% pour les villes moyennes, contre 9,2% pour l'ensemble des collectivités. Le coût moyen estimé des absences pour raison de santé - hors accident du travail - pour la durée légale maximum du congé va de 21.000 euros (1 an de congés maladie ordinaire) à 137.000 euros (5 ans de congé de longue durée).
L. T., avec AEF
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